DIY – Fabrication des voiles

L’un des gros sujets lors de la préparation du voilier a été de concevoir et confectionner nous même le jeu de voile du bateau.
Au programme Grand-voile, Génois, Trinquette et Spi symétrique !

Pour réaliser les voiles d’un bateau de 12m50, cela nécessite pas mal d’espace et des machines à coudre industrielles, la tâche a été rendue possible grâce à l’aide de la voilerie Incidence qui nous a permis d’avoir accès à ses moyens de fabrication, (Tristan y travaillait en tant qu’ingénieur), un grand merci à eux !

 

I) Conception

1. Triangulation

Le problème est avant tout un problème dimensionnel, le but est de concevoir une forme aérodynamique selon les contraintes propres à votre bateau (gréement, accastillage, surface etc…). La première étape consiste donc à réaliser une prise de cotation sur le bateau. En fonction de la voile de nombreuses dimensions caractéristiques sont nécessaires. Pour une grand voile par exemple il faudra au minima :

  • Guindant maximal disponible
  • Bordure maximale disponible
  • Chute maximale disponible
  • Distance mât/pataras en tête
  • Distance mât/pataras en amure
  • Largeur maximal de la voile à mi-hauteur et à 75% de la hauteur
 De plus il faudra penser aux petits détails comme la position des coulisseaux, goujure de ralingue, position des goussets de lattes, bandes de ris etc…
 
Cette prise de côte est à réaliser directement sur votre bateau au port. Si vous avez déjà des voiles, vous pouvez réaliser certaines mesures en navigation, par exemple pour mesurer la hauteur d’un point d’écoute de génois sous charge, une info utile pour vérifier votre hauteur de bordure par apport à la filière par exemple.  Il est également primordial de  mesurer les voiles à plat, cela vous permettra d’avoir des mesures de références pour votre conception.
Mesure de la hauteur du point d'écoute de génois en navigation
Mesure de la hauteur du point d'écoute de génois en navigation
Déport de génois sur enrouleur
Déport de génois sur enrouleur
Mesure du guindant de l'ancienne GV
Il faudra bien souvent monter en tête de mât prendre certaines côtes !

L’approche consiste ensuite à reporter ces dimensions sur un logiciel de conception assistée par ordinateur, il en existe de nombreux, en libre accès ou non (LibreCad, Autocad etc…). En deux dimensions dans un premier temps, ce qui permet de réaliser la triangulation des voiles, c’est-à-dire les positionner par rapport à votre gréement et en définir la surface. L’important est de bien intégrer les dimensions correspondant aux accroches, nœuds et marges de réglage. 

Par exemple le guindant maximum disponible mesuré lors de la prise de côte ne sera pas la longueur finale du guindant de la voile, il faut bien penser à intégrer les déports du fait des nœuds et systèmes d’accroches (longueur de la manille, nœud cordage/manille) et de garder des marges afin de pouvoir régler la tension de la voile. De plus on ajoutera des coefficients de réduction en fonction du tissu utilisé pour prendre en compte l’allongement de la matière sous charge (coefficient entre 0,5% et 1% en fonction du tissu).

voile 2D sans fond
Plan 2D du génois et de la GV

2. Forme 3D

Une voile est un volume que nous pouvons sectionner selon la hauteur. Chaque section définissant une courbe représentée par 3 paramètres fondamentaux :

  • Le creux (ou camber en anglais), c’est le rapport entre la profondeur de votre voile et la longueur de la corde du profil. Les voiles de près dites “plates” (GV, génois etc…) présentent des creux réduits alors que les voiles de portants ont des creux importants.
  • La position du creux (draft), c’est l’endroit sur la corde du profil où le creux est maximal, exprimé en pourcentage de la corde. Ce paramètre influe sur la “finesse” du bord d’attaque de la voile, en fonction du type de voile nous chercherons une attaque fine ou plus “ronde”.
  • Le vrillage (twist), c’est l’angle de votre profil par rapport à l’axe de la bordure. Une voile est naturellement vrillée pour suivre l’évolution du vent qui augmente en intensité et donc change d’angle avec l’altitude.

En pratique, pour obtenir ces valeurs de creux, il va falloir ajuster deux paramètres :

  • Les “pinces” entre les différents panneaux lors de l’assemblage des laizes de tissus. Le principe d’une pince dite “simple” est de contraindre une courbe sur une droite pour générer du volume. Une pince “double” consiste à contraindre deux courbes l’une sur l’autre, c’est ce que nous utilisons dans notre cas. Le bas et le haut des laizes de tissu ont donc une forme arrondie.
  • Les ronds de chute/guindant/bordure. Les côtés des voiles ne sont jamais rectilignes mais définissent des courbes ce qui permet de générer du volume. En fonction du réglage de la voile et notamment des tensions de drisse et du cintrage du mât, il est possible d’absorber ou de maximiser le rond de guindant afin de moduler le volume de votre voile.

Pour réaliser cette étape de dessin et notamment pour tracer les pinces et les différents “ronds”, vous pouvez utiliser le logiciel Sailcut en libre accès (https://www.sailcut.com/).

3. Modélisation Numérique (optionnel)

Dans le cas de notre projet, nous avons également modélisé le bateau (gréement + voiles) au sein d’un logiciel de couplage fluide/structure afin de simuler les voiles en navigation. Cette étape n’est pas nécessaire pour la conception de voiles standard et est souvent réservée aux voiles de bateaux de courses. Dans le cadre du refit, nous avions des modifications structurelles à apporter (pose d’un étai largable) et cela nous a permis d’évaluer l’intensité des efforts mécaniques qui s’exercent sur le bateau et sur les voiles et également de dimensionner les cordages.

GV et génois du scuba libre modélisé numériquement

4. Coupe et matériau

Une fois la forme définie, il faut décider de la disposition des panneaux de tissus qui constitueront la voile, c’est la coupe de la voile.
Il en existe principalement deux, le cross-cut et le tri-radial.
  • Cross-cut : les laizes sont assemblées parallèles entre elles et perpendiculaires à la chute. C’est la coupe la plus simple et qui nécessitera le moins de travail d’assemblage et c’est celle que nous avons utilisé pour la GV, le génois et la trinquette.
  • Tri-radial : Trois faisceaux de laizes existent qui rayonnent depuis les 3 extrémités de la voile (écoute, amure, chute). Cette coupe optimise l’orientation des tissus en fonction des efforts principaux dans la voile. Elle est plus réservée à la performance et nécessite d’avantage d’assemblage. Pour le spi symétrique c’est une coupe tri-radial que nous avons utilisé.

Le matériau que nous avons choisi est un tissu dénommé Nautosphere Voyager, composé de fibres de polyester et de polyéthylène à très haute masse moléculaire (UHMWPE aussi connu sous les désignations commerciales de Dyneema ou Spectra). Par rapport au Dacron, qui est le matériau de base pour les voiles de croisière, ce tissu est plus rigide et plus durable, ces deux caractéristiques étant apportées par la fibre UHMWPE. De nombreux tissus intègrent cette fibre pour améliorer la durabilité, le revers de la médaille est que ceux-ci sont souvent caractérisés par une instabilité dimensionnelle et une perte de performance de la voile dans le temps. Le procédé de fabrication réalisé par l’entreprise Nautosphere permet en théorie de s’affranchir de cette perte dimensionnelle au cours du temps et de garder des voiles performantes et durables ! C’est ce que nous allons pouvoir vérifier au cours de ce tour du monde !

5. Renforts

Certaines zones des voiles sont plus sollicitées et doivent donc être renforcées. Des épaisseurs de tissus sont ajoutées. C’est le cas des 3 coins de la voile (écoute, tête, amure), des zones de ris, des zones de lattes etc…

Il peut s’agir de renforts radiaux dits patchs ou matelas ou de bandes de tissus dîtes bandes à plats (bande en chute, guindant ou bordure, bande de ri liant la chute au guindant etc…).

Les renforts des coins présentent une forme elliptique et sont constitués de superpositions de tissus pour créer cette forme caractéristique dites en “doigts” (cf schéma et photos ci-dessous).

La taille du renfort augmente avec la taille du bateau et le renfort d’écoute sera le plus grand, suivi de la tête, puis de l’amure. Pour un génois d’un bateau de 40 pieds, couvrir 15% de la longueur de chute en écoute et tête, couvrir 10% du guindant en amure.

Renfort doigts, découper les zones de superpositions en escalier afin de limiter les points durs qui rendent la voile difficile à manipuler et peuvent mener à des points de fragilité
En rouge les zones de renforts d'écoute, amure et tête.

II) Fabrication

Les tissus à voiles étant d’un grammage assez lourd (environ 350g/m² pour un bateau de 40 pieds) en comparaison au textile vestimentaire, il vous faudra utiliser des machines capables de coudre ces fortes épaisseurs. Au fur et à mesure de votre avancée les pièces à coudre seront de plus en plus grandes et de plus en plus lourdes, les machines industrielles disposent de système à triple entrainement pour réussir à emmener le tissu au fil de la couture.

Si vous ne disposez pas de système d’entrainement, vous pouvez toujours demander à un ami de tirer la voile au fur et à mesure de votre couture ! 

Ci-dessous les étapes à suivre pour fabriquer votre voile :

 1) Tracé et découpe des laizes : une machine de découpe s’occupe de tracer la forme de vos panneaux précisément selon vos plans de voile et de réaliser la découpe. Cette étape est réalisable à la main mais c’est nettement plus long. Les machines de découpe cautérisent également le tissu, si vous le faîtes à la main n’oubliez pas de cautériser afin d’éviter l’effilochage du tissu !

Machine de découpe, certaines voileries ou entreprises spécialisées dans la découpe peuvent réaliser cette étape selon vos plans !

2) Assemblage des laizes et pinces : les laizes sont collées au double face afin de réaliser un maintien en position. C’est à ce moment que vous “pincez” le tissu pour établir le volume., Apportez un soin particulier à respecter le tracé exacte que vous avez établi, il en va de la forme finale de votre voile !

Ces jonctions sont ensuite cousues, une/deux/trois voire quatre coutures en fonction de la résistance recherchée. Cela dépend de la taille de votre bateau et de la fonction de la voile. Dans notre cas nous avons réalisé deux coutures par jonction pour toutes les voiles sauf pour la trinquette pour laquelle nous en avons réalisé trois – la voile étant sollicité dans du vent fort, cela justifie cet ajout de résistance.

Assemblage des laizes

3) Ajout des renforts : les renforts sont collés au double face puis cousus sur les laizes. Pour éviter les points durs avec des fortes variations d’épaisseurs, ceux-ci sont “dégressés” (placés en escalier pour éviter la superposition de couches).

En plus des renforts, des “matelas” plus petits sont ajoutés, reprenant la forme du renfort. Il participent à la résistance et apportent de la raideur en flexion pour la pose des anneaux, sangles etc… Ils sont constitués d’une à quatre épaisseurs de tissu selon la zone à renforcer.

Renfort et matelas au premier plan

4) Galonnage : les bords de la voiles sont des zones sensibles soumises au pliage, vibrations etc… Le galon permet de protéger les bords de la voile et également enferme les nerfs. Ce sont des cordages intégrés à la voile qui permettent de régler la tension des bords. Quand le vent monte on augmente cette tension pour supprimer les effets indésirables de vibrations.

Cette étape est délicate, il faudra passer le nerf tout en réalisant la couture du galon et bien serrer le galon autour de ce nerf !

C’est également l’étape finale de l’assemblage avant les finitions, assurez-vous que vous avez bien intégré tous vos renforts, matelas etc…

5) Pose des finitions : C’est le moment de poser les sangles de renforcement des point d’accroches, les différents anneaux de ris, anneaux de mousquetons, la plaque de tétière pour une GV, les bande de visualisations, penons, boitiers de lattes, lattes, taquets de nerfs etc etc etc…

Pour les anneaux il vous faudra les placer à la presse hydraulique pour garantir une accroche résistante !

 

Répétez ces étapes autant de fois que vous avez de voiles à réaliser et Hop ! Ya plus qu'à aller naviguer 🙂

Finalement ce travail aura nécessité des centaines d’heures de conception et de fabrication dans l’atelier mais le résultat est là, les voiles sont belles et performantes !

Tout au long du tour du monde, nous allons suivre leur évolution et notamment le vieillissement du tissu Nautosphere. Pour le moment après plus de 10 000 miles  de navigation le matériau est quasi neuf et la forme des voiles n’a pas bougé !

Génois après plus de 10 000 miles parcourus !

4 réflexions sur “DIY – Fabrication des voiles”

  1. Joli voyage… J’y ai passé beaucoup de temps , beaucoup de fois aux Fiji. J’y arrivais avec les racines à kava achetées au marché. Avec elles , j’avais un laissé passer après avoir fait coutume avec le chef. Bula – bula 😊.
    Je coince sur la conception d’une voile d’avant 100% sur enrouleur. Pas de rail, juste une stand up block sur le pont. Comment définir la hauteur du point d’écoute pour que tout s’enroule harmonieusement ?? Merci d’avance

    1. Bula Olivier,
      Nous avons aussi été émerveillés par les Fijis, quel pays ! Entre la vie sous marine exceptionnelle, le surf et surtout les gens d’une gentillesse incroyable !
      Pour la hauteur du point d’écoute, elle est définie par rapport à l’angle de tire de l’écoute. Si tu prolonges le trait défini par ton écoute jusqu’au guindant du génois, tu dois couper le guindant à 40% de la hauteur de guindant (je t’ai envoyé un schéma par email ;)) Attention à vérifier la hauteur de tes filières pour garder un point d’écoute au dessus pour le passage de la voile !

    1. Bonjour,
      Travaillant pour une voilerie, c’était facile pour moi, je l’ai eu via Incidence.
      Si c’est le tissu Nautosphere en particulier qui vous intéresse, vous pouvez visiter leur site : https://www.nautosphere.com/
      Sinon le mieux est d’aller voir votre voilier préféré qui aura sans doute de meilleurs tarifs que les prix publiques.

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