C’est parti pour la Grande Traversée. Des années que nous rêvions de rejoindre la Polynésie et elle n’est maintenant plus qu’à 4000 miles devant notre étrave. Nous prévoyons de rester une trentaine de jours sans toucher terre. Une expérience inédite pour nous, certes très excitante, mais aussi quelque peu angoissante. Comment va-t-on vivre ces 4 semaines en mer, dans la promiscuité de notre petit bateau ? Va-t-on réussir à éviter la casse ou les avaries pendant cette longue traversée ?
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- Un début mouvementé -
C’est parti ! Nous sommes le Jeudi 6 Avril, il est 8h30 du matin et nous larguons les amarres depuis l’île de Taboga à côté de Panama pour les Marquises, 4000 miles plus loin.
Les conditions météo semblent bonnes jusqu’au Galapagos. Il faudra espérer que le pot-au-noir ne s’élargisse pas trop autour de l’équateur pour nous éviter de faire trop de moteur. Le choix est fait de privilégier une route plus Sud au départ, de passer à l’Est de l’île de Malpelo afin de profiter du courant favorable au maximum et d’éviter un autre contre-courant qui nous enverrait trop à l’Ouest.
Avant de s’éloigner trop loin de côtes, Pierre teste notre Iridium. Quelle bonne idée ! Le port de communication a changé et il faut un mot de passe pour le reconfigurer ! Un semblant de 4G d’une ultime île va nous permettre de régler le problème in-extremis. Le demi-tour prématuré n’aurait pas été apprécié ! Nous lançons le spi et voguons pour de bon vers la Polynésie ! Un maquereau espagnol mort rapidement à la ligne. Le Pacifique sera-t-il aussi pêchant que l’Atlantique ? L’avenir nous le dira !
Pour notre première nuit, nous décidons de conserver le spi avec la grande voile hissée. Cela permettra de masquer facilement le spi si le besoin se fait sentir de l’affaler. Effectivement, à 2h du matin, le vent forcit et nous décidons d’affaler le spi avec le pilote automatique à la barre. Mauvaise idée. Le bateau part violemment au lof, la tête du tangon s’arrache et le spi claque. Damien vient nous aider dans cette manœuvre mal engagée et nous affalons le spi comme on peut. Plus de peur que de mal, le spi n’est pas déchiré mais la barre de flèche bâbord n’est plus à l’horizontale. Le coup de stress passé, nous débriefons à chaud avant de reprendre nos quarts sous grande voile seule.
Le lendemain, les réparations commencent. Tristan grimpe dans le mât pour redresser la barre de flèche. Les barres de flêche sont sur pivot. Avec l’aide d’un bout tirant vers le haut et Tristan qui tape par-dessous, la barre se redresse. La première étape est réalisée avec succès. Nous attaquons ensuite la réparation du tangon. Afin de ré-emmencher la tête du tangon, il va falloir fabriquer à la fois une pièce s’adaptant au tube du tangon et à la tête du tangon. C’est parti pour du découpage dans une planche en bois de pin. Nous perçons, nous découpons, la tâche n’est pas simple. A la fin de journée, les pièces sont collées.
Le jour suivant, Samedi 8 Avril, le bricolage reprend de plus belle. Il faut maintenant poncer notre pièce afin de l’ajuster au tube et à la tête du tangon. Après plusieurs heures de ponçage à la main (le métier d’ajusteur n’est pas simple), tout s’assemble. Nous vissons le montage et c’est parti pour le baptême du feu de ce nouveau tangon ! Le génois tangonné tient bien, ça fonctionne !
Nous allons pouvoir continuer en ciseau, bonne nouvelle pour nos navigations au portant ! L’île de Malpelo est laissée sur notre tribord dans la nuit, nous allons maintenant pouvoir voguer en direction des Galapagos en profitant encore un peu des courants favorables.
- Le pot au noir -
Les jours suivant, le vent commence à faiblir et les voiles claquent. Le pot-au-noir (Zone de Convergence Inter Tropicale en terme scientifique) se fait sentir. Les moyennes journalières diminuent, le Scuba Libre passe sous les 100 MN. Avec le peu de vent, la mer est très calme, la houle est même absente. Les activités vont donc bon train à bord. Tristan se confectionne un rideau pour le hublot de sa cabine, Guillaume se lance dans la réparation du bimini qui commence à bien fatiguer, Damien dans la peinture de jolies aquarelles et Pierre, quant à lui, rejoue à une vieille version de Pokémon !
Mardi 11 avril
Nous sommes sur un lac ! Le vent est totalement tombé. Il est temps de faire vrombir Bijou, notre fier Yanmar, si nous ne voulons pas rester englué trop longtemps ici. Tristan s’entraine à prendre la méridienne, après 1h de mesure et de calcul il arrive à une précision de 5 miles. Honorable pour un début de navigation à l’ancienne ! Le GPS est tout de même une belle invention ! L’après-midi est passée à collecter des échantillons de plancton pour l’association Astrolabe Expédition. Dans cette zone, il y a du monde au fond du filet à plancton ! Nous finissons la journée avec une baignade autour du bateau. Avec 4000m de fond sous nos pieds, nous nous sentons tout petit dans ce vaste océan. La sensation de nager autour de notre bateau qui se balance au rythme de la légère houle est indescriptible. Nous finissons par remonter pour prendre l’apéro face au coucher de soleil avec un bon guacamole à base d’avocat bien avancés (les joies de transporter des fruits fragiles en voilier). Nous discutons de la cérémonie du passage de l’Equateur, elle s’annonce grandiose ! Les nuits étoilées sont magnifiques sous ces latitudes. La croix du Sud a remplacé la Grande Ourse et la constellation du Scorpion est maintenant visible.
- Passage de la Ligne -
Jeudi 13 avril
C’est le grand jour ! Il est 9h et les derniers dixièmes de minutes d’angles avant d’atteindre la latitude 0 défilent sur l’ordinateur de bord. 0°0.00 ! L’équateur est traversé! Nous sautons sur le pont en chantant et en s’embrassant ! Nous débouchons une fiole de Calvados précieusement conservée pour l’occasion et nous en buvons avidement une gorgée chacun. Nous n’oublions évidemment pas d’offrir quelques gouttes à Poséidon.
Il est temps maintenant d’adouber chacun des valeureux équipiers pour leur entrée dans ce nouvel hémisphère. Chacun endosse le costume de Poséidon à tour de rôle. Trident, couronne en carton, barbe en filet de pêche et collier de Lambis, tout y est ! Pour l’un ce sera, enchainement d’énigmes, pour un autre, bras de fer contre un monstre marin ou encore course de natation à l’arrière du voilier. On a de l’imagination sur le Scuba ! A midi tout le monde a obtenu son diplôme du passage de la ligne, traversée de l’équateur par 87°48,9553 W de longitude, bravo à nous ! Le repas sera gargantuesque pour l’occasion. Paté, miche de pain, saucisson, houmous et vin rouge, nous avions conservé précieusement ces victuailles pour l’occasion !
L’après-midi est plus calme après ce passage de la ligne haut en couleur ! Il est tout de même ponctué de vols de fou de Bassan et de nombreux autres oiseaux annonçant les Galapagos tout proche ! Un de ces oiseaux a même passé toute sa nuit sur la girouette, la cassant par la même occasion… Ce sera l’occasion pour Tristan de faire une petite visite de courtoisie en tête de mat pour réparer ça.
- Galapagós -
Vendredi 14 avril
Les Galapagos sont devant nous ! Le vent est revenu pour nous permettre de profiter pleinement de cette journée. Nous avons fait le choix de ne pas nous y arrêter car les frais pour y séjourner en voilier sont trop coûteux. Mais nous allons tout de même les traverser ! A l’aube, nous arrivons au large de l’île de San Cristobal, timing parfait ! Le festival commence ! Les tortues vertes défilent le long du bateau, nous en comptabiliserons une vingtaine à la fin de la journée !
Nous voyons des raies mobulas ainsi que des dorades coryphènes sauter hors de l’eau, quel spectacle ! Des thons se font poursuivre par des dauphins, la faune des Galapagos est exubérante ! L’île de Santa Maria se dessine ensuite. Nous hésitons à mouiller pour la nuit tellement l’île est belle. Elle est parsemée de jolis vallons et de sommets qui ne demande qu’à être grimpés. Le manque de terre ferme se fait un peu sentir ! Le vent est encore présent, on continue. Nous disons au revoir aux dernières terres avant les Marquises. La nuit sera compliquée. De gros éclairs zèbrent le ciel et nous barrent la route. Nous slalomons pour les éviter. Tristan épaule Guillaume pendant son quart. Voir des énormes éclairs illuminer le ciel n’est pas très rassurant. Nous élaborons des techniques en cas de foudre. Dans tous les cas, si nous nous en prenons un, il ne restera pas grand-chose du Scuba. Nous croisons les doigts et nous chronométrons les écarts entre les éclairs et le vacarme qui suit. Heureusement l’écart se creuse doucement. Nous hissons de nouveaux les voiles, puis le vent retombe. Finalement, Damien hissera une nouvelle fois le lendemain matin à 6h. Le pot-au-noir joue avec nos nerfs !
- Le train-train s'installe -
Les jours suivants, le vent revient et nous recommençons à faire des moyennes honorables (146 MN le Dimanche 16 Avril, ça faisait longtemps). Nous aurons comptabilisé 44 heures de moteur sur cette Transpac. Des phoques nous escortent vers les alizées à 200 miles des côtes des Galapagos, ce sont vraiment des pêcheurs endurants ! La nuit du Mardi 18 Avril, nous sommes encerclés de 23 navires de pêches battant pavillon chinois. Greenpeace ou Sea Shepherd seraient-ils intéressés par cette information ? Nous notons leur position GPS et veillons au grain pour ne pas en aborder.
Jeudi 19 avril
Nous fêtons la moitié de la Transpac, plus que 2000 miles jusqu’à Hiva Oa ! Nous aurons le droit à de bonnes baguettes sorties du four au petit matin par notre boulanger/cuisinier Damien !
Mercredi 26 avril
21ème jour de traversée, nous célébrons le soit disant « anniversaire » de Pierre (qui est né un 21), on s’occupe comme on peut au milieu du Pacifique ! Le vent manque, on démarre le moteur. Ce sera de courte durée car en soulevant sa couchette, Guillaume découvre que la batterie moteur bout et fume ! Nous stoppons net le moteur et nous attendons qu’elle refroidisse. Nous n’osons pas imaginer ce qui aurait pu se passer ! Nous ne nous laissons pas abattre, nous tangonons le génois seul en attendant du vent et nous célébrons l’anniversaire de notre cher Pierre avec la pêche d’un joli thon qui saura aussitôt transformé en sushi ! Et bien-sûr le tout arrosé d’une bonne bouteille de vin !
- Mode régate activé -
Vendredi 28 avril
Les trois quarts de la traversée sont passés. Il ne nous reste plus que 1000 miles devant l’étrave. Apparemment d’après le fichier météo, le vent va revenir en force. En effet, un énorme front nuageux arrivant du Sud-Est fonce vers nous. Nous prenons les paris, à quelle heure sera-t-il sur nous ? A 6h, nous passons en ciseaux jusqu’à la fin de la traversée. Le Scuba commence à rouler, génial !
Les jours suivants seront plus rouleurs, les activités des derniers jours sont rangées au placard et nous préférons barrer à tour de rôle car le pilote auto a du mal à bien surfer les vagues. C’est parti pour 2h de barre chaque jour. Podcast dans les oreilles et crème solaire sur le pif, le Scuba fuse vers les Marquises avec des moyennes à 150 miles.
Lundi 1er Mai
On en a gros ! Jour de grève ! Nous sommes le 26 ème jour et c’est le faux « anniversaire » de Guillaume qui sera célébré en ce jour de fête du travail ! Le voilier roule pas mal mais Guillaume se lance tout de même dans un flan coco pour son gâteau d’anniversaire. Au moment d’enfourner, un coup de gîte fait sortir le flan de son moule et transforme le plancher en patinoire sucrée saupoudrée de flocons de noix coco. Agréable odeur mais difficile à nettoyer. Guillaume repassera pour son gâteau.
Vendredi 5 Mai
Jour 29, dernier jour de Transpac, nous nous préparons pour retrouver la terre ferme. Nous nous lavons, rasons et nettoyons nos draps bien imbibés de sueur dû aux longs jours de pétole. Le capitaine apéro, Pierre, nous prépare un dernier apéro digne des grands jours : olives, pain, pâté, chorizo. Les cales du Scuba sont bien vides mais recèlent encore quelques surprises que Pierre réussit à nous dégotter !
Samedi 6 Mai
Bonjour la Polynésie ! La côte se dessine à l’aube. Que c’est magnifique de voir doucement s’approcher l’île d’Hiva Oa convoitée depuis 30 jours. Au fur et à mesure que nous approchons, les vallées et pics se dessinent. A 14h, nous entrons dans la baie de Taaoa et mouillons au port d’Atuona. Nous allons pouvoir enfin fouler la terre ferme, sentir les bonnes odeurs de cette végétation exubérante et surtout déguster les délicieux pamplemousses chinois dont on nous a tellement parlé !
- Bilan -
Nous aurons mis 30 jours et 6 heures pour parcourir 3900 miles nautiques. Après un début difficile et plutôt stressant pour tout le monde, nous avons su nous serrer les coudes pour repartir sur de bonnes bases. Finalement les 30 jours loin de la terre sont passés assez vite, malgré quelques moments un peu longs où là aussi nous avons su être là les uns pour les autres.
Au final, comme le défini si bien Pierre le Vendéen “La Transpacifique ce n’est jamais qu’un gros trajet La Roche-sur-Yon – Rennes : on se chauffe tranquil’ sur la 2×2 voies jusqu’à Montaigue. Ensuite c’est l’autoroute jusqu’au périph’ de Nantes on on se prend un bon gros stop. Et à la fin c’est les 100 bornes de 4 voies longues et chiantes jusqu’à Rennes où on a l’impression qu’on ne va jamais arriver…”