Lundi 22 Septembre
Nous quittons l’archipel des îles Torres le matin du 22 Septembre avec les yeux pleins d’eau transparente et de forêt dense ! Maintenant nous faisons cap à l’Ouest pour continuer notre découverte de la Mélanésie par l’archipel des Louisiades. Nous visons la baie de Dumaga sur l’île de Sudest, 800 miles devant nous. Nous continuons sur les traces de nos prédécesseurs Sailing For Change. La navigation dans la mer de corail reste toujours assez simple à cette saison. Les alizées soufflent encore et les cyclones ne feront leur apparition que fin octobre normalement. Simple mais pas très confortable, la houle est bien présente avec un vent soufflant à 10 nœuds seulement. Le bateau roule pas mal avec les voiles en ciseau et nous faisons de petites moyennes de distance par jour de 100 à 120 miles. Ces conditions n’ont duré que les 3 premiers jours. Le vent a ensuite fraîchi à 20/25 nœuds les jours restants ce qui nous a permis d’améliorer notre moyenne journalière à 140 miles et de nous rapprocher de notre but. Nous avons hâte de découvrir les Louisiades. Cet archipel tout à l’Est de la Papouasie Nouvelle-Guinée (PNG) semble très loin de la civilisation. Nous ne savons pas à quoi nous attendre. C’est l’aventure avec un grand A !
Lundi 25 Septembre
Nous avançons toujours à vive allure ! Ce midi, nous passons au travers d’une centaine d’oiseaux en train de chasser en mer. Pas de hasard, le moulinet de la canne à pêche siffle immédiatement ! Pierre se jette dessus. Cela tire pas mal sur la canne mais tant bien que mal les deux fins pêcheurs du bord Pierre et Damien remontent la prise. Un joli thon finit par atterrir dans le cockpit ! Super ! Nous allons pouvoir relancer le fumoir qui n’avait pas servi depuis l’arrivée au Fidji ! Damien découpe rapidement les filets, le poisson est salé et mis à égoutter. La fumaison est une affaire qui roule à bord du Scuba Libre !
Nous estimons notre arrivée au matin du 28 Septembre, affaire à suivre !
Jeudi 28 Septembre – Arrivé à Dumaga
Notre estimation fut bonne, à 7h du matin nous empannons pour entrer dans la passe. Découvrir la terre au petit matin est une sensation très agréable ! Les vagues se calment au fur et à mesure que nous entrons dans le lagon. Un joli « coureur argenté » mord à l’hameçon pile poil dans la passe ! Nous avançons maintenant à 7 nœuds dans le lagon abrité. ça change par rapport à tout à l’heure ! Nous affalons les voiles et mettons cap sur la baie de Dumaga. Nous avançons prudemment car la baie est peu profonde. A 9h, l’ancre est posée dans 4m de profondeur. 6 jours tout pile pour parcourir les 800 miles et atteindre les Louisiades, bravo à nous ! Sur la côte, des espaces dans la végétation nous laissent apercevoir plusieurs villages. Nous avons hâte de les découvrir ! Mais pour l’instant, petit-déjeuner à plat ! Cela fait du bien ! Nous discernons des voiles noires voguer depuis les villages. Elles avancent doucement vers nous. Nous allons avoir de la visite ! Ces embarcations sont des praos. Ce sont des canoés creusés dans un tronc avec un balancier muni d’une voile carrée gréée avec une livarde. Pour les voiles, ce sont en fait des bouts de bâches cousus ensemble. Le système D semble régner ici ! En quelques minutes 4 praos sont attachés à l’arrière du bateau. Les présentations commencent ! Nous faisons tout d’abord la rencontre de Raymond. Un vieil homme très souriant avec un bonnet vissé sur la tête même par 25 degrés. Il nous explique que c’est lui qui accueille les voiliers. Il apporte avec lui un petit cahier avec un mot de chaque voilier ayant mouillé dans la baie. Nous y découvrons un mot de Sailing For Change écrit il y a 5 ans ! Nous voguons bien sur leurs traces ! Il nous explique que nous sommes le premier voilier de l’année ! On dirait qu’il n’y pas tant de passage par ici. Ici, le troc est roi. Cela tombe bien car nous n’avons pas retiré de Kina avant de venir et nous avons prévu pas mal de choses à troquer (matériel de pêche, vêtement, essence et médicaments). D’autres adultes ainsi que beaucoup d’enfants viennent nous accoster. Ils sont tous curieux de nous voir et échanger des noix de coco, des oranges ou de la canne à sucre. Guillaume tente quelques mots du dialecte de Misima (l’île principal de l’archipel 50 miles au nord) appris pendant la navigation.
– Melaluga Waiwaisana ! (hello)
Les enfants le regardent avec de grands yeux et ne répondent pas. Raymond rigole et lui explique qu’ici ce dialecte n’est pas utilisé. C’est le dialecte de Sudest Island qui est employé. C’est assez dingue d’imaginer qu’il y a un dialecte par île. Pour échanger entre les îles, ils utilisent un dérivé de l’anglais, le pidgin.
Damien, nous prépare des sashimis de Coureur argenté à midi. Pêché il y a 4h, la fraîcheur est toujours de mise à bord du Scuba ! Pierre et Guillaume se rendent ensuite à terre. Ils sont accueillis par Nigel le fils de Raymond. Accueillir les étrangers est une affaire de famille ! A l’arrivée, tout le monde vient autour de l’annexe pour regarder ce canoé gonflable à moteur très étrange. Tout ce que l’on possède les intrigue beaucoup. Pourtant leurs magnifiques praos n’ont rien à nous envier ! Nous les observons de près. Ils sont fabriqués tout en bois avec seulement des bouts de ficelles pour tout assembler ensemble. Le canoë est creusé directement dans un tronc à l’herminette et à la machette. Ils sont capables d’en fabriquer un en 2 semaines apparemment ! Quel travail ! Nigel nous emmène ensuite découvrir son village. Les maisons sont toutes sur pilotis pour éviter la boue durant la saison des pluies, qui se fait attendre depuis quelques mois maintenant. Les maisons sont très simples, un toit et des murs tressés en feuille de sagou. Une petite terrasse pour se reposer à l’ombre. De jolies nattes tressées en pandanus pour s’allonger. Une étagère pour stocker les pots de cuisine en terre cuite fabriqués à Rossel Island (l’île juste au nord de Sudest Island) ainsi que d’autres en aluminium. Une ampoule avec une batterie éclaire la salle commune la nuit. La cuisine se fait au feu de bois à l’extérieur pour ne pas enfumer la maison. Nous nous baladons entre les maisons. Certaines sont en construction. Apparemment les maisons ont une durée de vie entre 5 et 10 ans. Après il faut recommencer à construire, c’est pour cela qu’il y en a toujours en construction. D’ailleurs nous croisons Raymond à califourchon sur un chevron en train d’aider son fils Jules à construire sa maison. Nous étudions leur agilité avec la machette pour tailler les troncs servant de support aux panneaux tressés pour le sol. Nous passons ensuite devant l’école avec le drapeau de la région ainsi que celui de la Papouasie flottant au milieu de la cour en haut d’un mât de bateau. Tout sert ici ! Nous saluons les professeurs et proposons de venir nous présenter aux élèves demain matin. Ils sont très intéressés par notre proposition et nous nous donnons rendez-vous demain à 9h.
Le soleil descend rapidement sur l’horizon. Nous rentrons au bateau très heureux de cette première journée très intense en terre papou.
Deuxième jour
Après une bonne nuit complète bien réparatrice, rendez-vous à l’école. Nous sommes accueillis par une soixantaine (peut être une centaine) d’enfants de 5 à 11 ans. Ils nous aident à porter l’annexe sur le haut de la plage et nous accompagnent au milieu de la cour. Ils viennent de toute la baie pour étudier ici. Ceux qui viennent de loin, restent ici toute la semaine. Ils arrivent avec leur nourriture pour la semaine et sont logés dans différentes familles.
Les maîtresses placent sagement les enfants en rang et les font tous entrer (il y en a une centaine) dans une classe. Nous rentrons dans la classe bondée et toutes les paires d’yeux nous fixent. L’école se déroule en anglais, cela va nous permettre d’échanger facilement avec les enfants. Pour commencer, Guillaume demande aux élèves de lever la main en fonction de leur classe respective. Les petits devant lèvent la main en premier puis suivent les plus âgés. Il y a 8 niveaux dans cette école allant de 4 ans à 12. Cela fait beaucoup de classes pour 4 professeurs. Damien profite de ce moment pour dessiner une grande carte du monde centrée sur le Pacifique à la craie. Nous demandons tout d’abord de nous pointer la France. Pas évident. L’Europe peut être ? C’est si loin de chez eux… Nous leur détaillons notre parcours avec quelques anecdotes du voyage. Toute l’assemblée semble subjuguée. Pour les faire participer, nous leur demandons quelques mots dans leur dialecte et les traduisons en français. Les enfants viennent écrire timidement au tableau.
Hello – Bonjour – Benga Benga thovuyé
Thank you – Merci – Ago Lagi
Good bye – Au revoir – Evolé
Nous nous rendons compte que leur dialecte est principalement oral et qu’il ne s’écrit pas vraiment. Les manières d’écrire les mots varient beaucoup entre les gens. A court d’histoire, nous les remercions chaleureusement pour leur écoute très attentive et tous les enfants se lèvent calmement par classe pour aller en cours de sport. Nous traînons un peu avec les professeurs. Nous leur offrons une carte de notre parcours et passons un peu de temps à lire les affiches sur les murs. Il y a des affiches sur des conseils pour éviter la malnutrition des enfants (donner une part du plat à chaque enfant et non pas les laisser se servir dans le plat général, les nourrir suffisamment et équilibré, conserver une bonne hygiène), cela nous fait réfléchir. D’autres affiches sur les méfaits des publicités nous font sourire. Ils ne semblent pas vraiment être dans une société de consommation ici. Le point internet le plus proche est tout de même à 60 kilomètres.
Les enfants pratiquent différents sports : volleyball, football et netball. Ils nous entraînent pour jouer avec eux sur le terrain de football du village. C’est un terrain aussi plat qu’un champ de vache bordé de bananiers où l’on peut se reposer à l’ombre en regardant les enfants jouer. Sans maillot c’est difficile de savoir qui joue contre qui, mais nous nous prenons au jeu et dès que l’un de nous touche la balle, les enfants crient « Lumo » ! Cela signifie homme blanc dans leur dialecte. Les filles jouent plutôt au netball (l’ancêtre du basket), sur un terrain adjacent. Marilou comprend rapidement les règles et se prend au jeu. Marilou finit par sortir exténuée à la fin de la partie. Les filles ont un très bon niveau ! La fin de la matinée arrive et les enfants rentrent chez eux, c’est vendredi après-midi, le week-end peut commencer ! Avant de retourner manger au bateau, nous passons par le dispensaire donner quelques antidouleurs, des brosses à dent et des kits de suture. Le docteur nous remercie chaleureusement, cela sera très utile pour les villages alentours.
Guillaume retourne à terre l’après-midi pendant que les copains s’essayent au kitesurf depuis le bateau.
Je croise Raymond juché sur la charpente en construction de son fils. Il me propose gentiment de me montrer où il habite. Nous traversons le village de Bololo puis Romiwa. Nous passons au-dessus du lit de la rivière asséchée sur un très joli pont en rondin qui a été réparé par l’ensemble du village il y a un mois. Nous traversons des prairies d’herbes rases où des maisons sur pilotis émergent. La source d’eau douce semble bien basse en ce moment de sécheresse. Il y a maintenant 3 mois que la pluie se fait attendre.
C’est vrai que tout est bien sec ici ! Raymond me montre son village (Kalatuma), le dernier de la baie. De gros cochons et des poules gambadent entre les maisons. Raymond me montre les soucis de son générateur. Une fuite sur son réservoir d’essence et son lanceur qui est cassé. Je vais essayer de lui réparer ça. Nous entendons des éclats de voix venant de la plage. Toutes les générations y sont regroupées pour regarder Marilou évoluer en kitesurf au milieu de la baie. Ils n’ont jamais vu de kite de leur vie et s’exclament quand elle saute en l’air ! Sacré spectacle pour eux ! Je demande l’heure à Raymond, il regarde le soleil et me dit 16h. Ici, personne n’a de montre, tout le monde vit avec le soleil. Nous nous donnons rendez-vous le lendemain à 8h pour une petite sortie langouste avant la journée de championnat de football de la baie !
Troisième jour – Championnat de football et netball
Ce matin, petit-déjeuner en compagnie de Tracy, 13 ans, et son cousin de 4 ans qui ont parcouru les 800m qui nous séparent de la côte avec leur petit prao à rame. Ils nous offrent des sortes d’amandes nommées « manjé » et des cocos. En échange, un bon petit-déjeuner, un paréo et une balle rebondissante. Nigel arrive à 8h pétante avec quelques amis. Nous lui donnons 10L d’essence pour son moteur et au même moment 3 filles arrivent avec de beaux œufs de casoar. Ici, les casoars font la taille d’une oie. Apparemment, en Papouasie, il y a la même faune qu’en Australie mais en plus petit. Petit wallaby, petit casoar. Par contre les jolis cacatoès blancs font la même taille. Nous les remercions beaucoup car elles sont venues avec leur canoé qui prend beaucoup l’eau et commence à se disloquer. Nous décidons donc de ramener tout ce petit monde à la côte car il souffle un bon 20 nœuds de face et nous doutons que les enfants réussissent à ramer jusqu’à la côte. Une fois ramenés à terre en tractant leur canoé disloqué nous prenons la direction du spot à langoustes. Nous scrutons sous chaque caillou pour déceler des antennes. Guillaume en voit une grosse et appelle Nigel. Il se met en slip, enfile son masque et arrive avec une longue sagaie pour essayer de la déloger sans succès. A côté, il trouve un gros bénitier qu’il ramène au bateau. Nous en avions rarement vu d’aussi gros ! Nous changeons de spot et là ce ne sont pas moins de 8 langoustes que réussissent à ramener les copains du village. Quelle adresse ! Damien réussit à attraper un vivaneau (poisson). Contents de notre pêche, nous décrochons l’ancre (une vieille poulie toute rouillée, le système D !) et au lieu de démarrer le moteur un des amis pousse la barque avec une perche. Nous descendons sous le vent comme sur une gondole jusqu’au milieu de la baie pour économiser l’essence si précieuse ici. Retour au bateau. Marilou est entourée d’enfants. Difficile de rester au calme au bateau, nous sommes une source constante de curiosité pour eux. Elle les occupe avec son kit de peinture. Tout le monde dessine et rigole. Nous remercions chaleureusement Nigel et ses copains pour cette session de pêche et l’on se donne rendez-vous pour le tournoi de football de l’après-midi !
6 équipes sont venues de toute la baie en pirogue à voile de 15 personnes. Les voir remonter au vent en tirant des bords était splendide ! Ce sont de bons marins ! La journée de championnat commence. Les hommes au football et les femmes au netball. Le niveau de jeu est assez intense. Nous étions venus avec nos chaussures mais il semble que l’enjeu est trop sérieux pour nous laisser intégrer une équipe, c’est une journée de championnat de la baie tout de même ! L’ambiance est sympa, tous les villageois sont regroupés autour du terrain. A l’ombre des bananiers les supporters encouragent leur équipe en fumant des feuilles de tabac séchées et roulées dans du papier journal ou bien en mâchant du bétel. Le bétel est très étrange. C’est la première fois que nous découvrons cela. C’est en fait une noix que les habitants mâchent au fond de la bouche en y ajoutant du corail réduit en poudre qu’ils appellent « lime » et des feuilles de moutarde. Cela leur donne les dents rouges et ponce leur gencive. Tout le monde à partir de 20 ans en mâche. Ce mélange semble les relaxer. Lorsqu’ils crachent, cela à la couleur du sang, c’est très étrange. Nous hésitons à goûter, nous préférons dans un premier temps tester leur tabac « quotidien ». Il est assez doux, c’est plutôt agréable. Le moment est sympathique, nous parlons au gens autour du terrain, allons regarder les femmes au netball. Elles jouent pieds nus et en jupe. Le niveau de jeu est intense, c’est très agréable à regarder ! Autour du terrain de netball, les supporters sont principalement des femmes avec leurs enfants en bas âge. Les enfants gambadent autour du terrain. Lorsque Marilou arrive, deux petits se mettent à pleurer instantanément. La maman s’excuse « Sorry but it’s because of your skin ». Apparemment, ils n’avaient jamais vu de blanc de leur vie ! L’après-midi s’écoule doucement. A 17h, les matchs sont terminés. Tout le monde commence à rentrer chez soi. Avant de retourner au bateau, nous allons remplir nos bidons d’eau à la source. Philip, un jeune de 14 ans bien causant nous montre le chemin. La nuit tombe rapidement et nous voyons un feu devant chaque maison s’allumer. Tout le monde cuisine au feu de bois ici. Quelques ampoules solaires s’allument également. Le feu reste leur source de lumière principale. Tout le monde se regroupe autour pour manger et discuter. Notre voilier au milieu de la baie, tout illuminé, doit ressembler à un sapin de Noël pour eux !
Quatrième jour – Dimanche, jour de prière à Rehuwo, par Guillaume
Aujourd’hui c’est jour de messe. A Dumaga baie, tout le monde est chrétien. Les missionnaires ont bien fait leur travail J. Je me rends en compagnie de Philip qui est venu nous apporter des noix de coco un peu plus tôt ce matin, à la messe.
Arrivés au bord, 15 enfants veulent à tout prix m’aider à porter l’annexe sur le bord. Ici, nous sommes constamment entourés d’enfants. La moyenne d’âge du village n’est sûrement pas très élevée. L’église est une salle ronde avec une dalle en béton. Elle doit être utilisée comme abri anticyclone vu sa construction solide. A l’intérieur, une jolie allée de fleurs fraîchement cueillies mène à l’autel. Les enfants sont assis à l’avant et l’église se remplit doucement. Tout le monde s’assoit en tailleur et quand l’église est bondée, le reste des fidèles restent à l’extérieur. Je me retourne lorsqu’un homme sonne le clairon pour annoncer le début de la cérémonie. Il souffle en fait dans un lambi (un gros coquillage), cela doit résonner dans tout le village ! La cérémonie est très enjouée, tout le monde chante en rythme avec la guitare. Plusieurs sermons s’enchaînent par plusieurs personnes. Il n’y a plus de prêtre depuis de nombreuses années à Rehuwo (le nom de la communauté de villages). Raymond se prête également au jeu du sermon sur le thème de « Believe and change » and « change then believe ». J’essaye de suivre mais ce n’est pas simple… Les enfants commencent à s’agiter, les mères donnent le sein, certains dorment sur le sol. Cela fait une jolie agitation silencieuse. Au moment de l’eucharistie, tout le monde se sert la main. Tout le monde veut me serrer la main c’est très amusant. Je leur rends leur joli sourire rouge (le bétel tâche les dents). Pour les donations, les gens déposent des fruits et légumes dans un grand panier devant l’autel. Cela change des habitudes occidentales. Pour terminer la messe, un reportage très étrange est retransmis. Un ordinateur portable est installé au milieu de la salle et toutes les têtes sont rivées en silence sur l’écran. Le reportage de 5 minutes parle d’anges enchaînés au fond d’une grotte et de sécheresse. Dans l’incompréhension la plus totale, je demande des explications à mon voisin mais il ne semble pas avoir compris grand-chose non plus. A la fin de cet étrange moment, tout le monde sort sagement de l’église. Il est 13h, les 2 heures de messe sont passées assez vite en regardant tous ces fidèles chanter en cœur et écouter sagement les sermons. Tout le monde semble très croyant ici. Je félicite Raymond pour son sermon et ramène tout ce petit monde à son village, dans notre annexe gonflable. Nous nous donnons rendez-vous pour une session de pêche demain et je retourne au bateau retrouver les amis skippers pour aller explorer l’embouchure de la rivière.
Nous sautons dans l’annexe et nous nous dirigeons vers la rivière à la recherche de crocodiles. Nous avançons silencieusement à la rame en guettant des bruits sur les berges. Le moment est très agréable et voyons les cacatoès s’envoler à notre passage. Nous remontons doucement le long de la mangrove mais malheureusement nous ne voyons aucun reptile en train de « se dorer la pilule » sur les berges. Nous finissons par retourner au bateau au coucher du soleil, bredouilles mais heureux d’avoir exploré la mangrove silencieuse.
Cinquième jour – Session de pêche avec Nigel (par Guillaume)
Nigel vient nous retrouver au bateau avec quelques un de ses amis pour aller pêcher à l’extérieur de la baie. Nous lui donnons de l’essence ainsi qu’une combinaison et un fusil de chasse sous-marine et c’est parti, tranquillement, pour économiser l’essence. A bord, ils inspectent nos fusils avec grande attention. C’est vrai que comparé à leurs foënes faites de bric et de broc nous sommes équipés de matériel dernier cri ! L’endroit où il nous emmène est magnifique. La visibilité n’est seulement que de 10m à l’intérieur du lagon mais les coraux ainsi que les poissons sont superbes. Les coraux mous aussi bien que dur avec leurs couleurs pétantes passant du vert à l’orange puis au bleu sont hallucinants ! Les poissons perroquets à bosses sont énormes tout comme les poissons Napoléons. Nous passons plusieurs heures à nous émerveiller et à remonter quelques poissons. A un moment nous entendons des cris à bord du bateau. Pierre vient de ramener un thazard de 1m20 qui récolte les acclamations de tout l’équipage ! Nigel est également un bon pêcheur. Entre deux poissons il remonte à bord mâchouiller un peu de bétel. A son retour dans l’eau, nous voyons du sang sortir quand il expulse l’eau de son tuba ! C’est seulement le bétel qui a rendu sa salive toute rouge ! Cela nous a tous surpris la première fois ! Le bétel semble très addictif vu la fréquence à laquelle les habitants en mangent. Une fois que le nombre de poissons est suffisant pour l’équipage, nous retournons gaiement au bateau, poussés par le vent. Nous prenons un poisson pour le repas de ce midi et convenons de goûter le thazard chez Raymond ce soir.
Nous nous rendons au village de Raymond un peu avant la nuit tombée. Comme d’habitude, nous sommes accueillis par une vingtaine d’enfants et par le son imposant d’un lambi dans lequel souffle un homme. Ce bruit sourd résonne dans tout le village. Cela annonce un appel à la prière. Lorsque les lueurs de jour s’estompent, les feux de bois commencent à scintiller et une bonne odeur émane des marmites devant chaque maison. Nous bavardons avec les enfants et les adultes autour du feu en regardant le repas cuire. Raymond nous invite à entrer dans sa maison pour manger. Pour l’occasion, il a installé une lumière solaire qui éclaire toute la cuisine, le luxe ! Nous nous baissons au moment de rentrer car la maison est adaptée à leur taille, 1m50 au maximum. La cuisine est composée d’un garde-manger en hauteur pour stocker les patates douces, igname, taros et autres tubercules inconnus. En dessous, nous entendons un cochon grogner. C’est le garde-manger vivant. Au milieu de la salle en terre battue, trône le beau repas préparé par Marie, la femme de Raymond. Des darnes de thazard avec de l’igname frit ainsi que des patates douces accompagnées d’un riz cuit au lait de coco. Le dressage de Marie est superbe ! Malheureusement, la coutume locale veut que les invités mangent en premier. Cela étonne beaucoup les occidentaux que nous sommes. Nous mangeons tout de même gaiement car le repas est délicieux. Nous discutons avec Raymond et Marie assis à nos côtés (sans manger) des coutumes locales. Ils nous apprennent comment le sagou est récolté à partir d’un palmier pour obtenir une sorte de farine. Cela se conserve très longtemps et permet d’attendre des jours meilleurs quand un cyclone frappe la région. Pendant tout le repas des petites têtes rentrent par les fenêtres pour nous regarder. Nous sommes la grande attraction ! Il est temps pour nous de rentrer au bateau. Raymond nous propose d’aller voir une cascade pour notre dernier jour à Dumaga. Nous acceptons avec enthousiasme ! Tout le monde rentre en annexe et je dois récupérer mon paddle à l’autre bout du village. Jules, le fils de Raymond me raccompagne. Rentrer sous les étoiles et avec le bruit des cigales est très reposant. Nous passons à côté de femmes assises face à une statue de la Vierge, qui chantent joyeusement accompagnées par la guitare. La foi se pratique en chantant gaiement ici et c’est très agréable à écouter. Nous croisons ensuite toute une ribambelle d’enfants revenant de l’église. Les « évolhé » (A bientôt) résonnent dans la nuit. Arrivés à la maison de John, Jules et John tiennent absolument à porter mon paddle jusqu’à la mer. Je les remercie et rentre silencieusement sur mon paddle poussé par le vent vers la lueur du feu de mât qui scintille comme une étoile.
Sixième et dernier jour à terre – Découverte de la cascade
Raymond accompagné de Gwaibo et de son fils de 4 ans viennent nous emmener pour remonter la rivière. Un peu d’essence dans le moteur et c’est parti. Nous slalomons tranquillement dans les lacets de la rivière. Quelques familles sont établies sur les bords de la rivière. Nous finissons par atteindre la cascade qui barre la rivière. L’eau devient douce en amont. A cet endroit vit le frère de Raymond qui porte aussi un bonnet. La famille ne parle pas trop anglais. Nous échangeons de jolis sourires. Raymond nous emmène remonter la rivière à pied. Nous traversons des ruisseaux sur des troncs en guise de pont sur le chemin des chercheurs d’or. Raymond nous montre le fameux sagou dont ils extraient le cœur pour en faire de la farine. Le « gum tree » pour soigner les rhumes, le « kwila » pour les pilotis des maisons et les lianes pour lier les flotteurs des praos. Quel puit de science ce Raymond ! Nous finissons par arriver sur un lieu abandonné par les chercheurs d’or. Cet endroit a été déforesté pour chercher des paillettes d’or sous les racines des arbres. Raymond nous montre comment, grâce à une grande assiette, il faut rincer la terre pour essayer de discerner de toutes petites paillettes brillantes. L’or leur permet d’avoir un petit revenu et de payer les frais de scolarité des enfants.
Espérons seulement que des « lumos » mal intentionnés ne viennent pas mettre la main sur ces ressources. Retour à la cascade pour jouer dans l’eau fraîche. Que c’est agréable ! Descente de la rivière doucement et petit arrêt pour faire visiter le bateau à Raymond et Gwaibo. Ils sont très intéressés par l’ordinateur de bord avec toute la carte des Louisiades. Ils regardent chaque île avec grand intérêt. Cet après-midi, Je me rends au village pour me promener une dernière fois.
Je retrouve John entouré de sa famille. Il est occupé à ouvrir des « manjé » sur un gros caillou et avec un petit caillou. J’essaye à mon tour. Je me rends compte qu’ils sont très adroits. En 3 coups, ils réussissent à ouvrir la coque entièrement alors qu’il m’en faut au minimum 10 pour obtenir une petite amande « écrabouillée » mais délicieuse. John monte ensuite en 5 secondes dans un cocotier pour faire tomber des cocos pour toute la famille. Il pleut des cocos et toute la famille se dépêche de les ouvrir. Hum, que c’est rafraîchissant ! Une fois bues, John les ouvre pour en déguster la chair encore toute fine et tendre, un délice. Je remercie John et lui offre un « bout » (corde en terme de marin) pour son prao. Je passe ensuite saluer le docteur du village qui n’a plus beaucoup de dents à cause du bétel. Nous vérifions que la montre que nous lui avons donnée fonctionne bien. C’est important pour un docteur ! En échange, il m’offre un joli collier rouge fabriqué à Rossel Island qui servait (et est peut-être même encore utilisé) de monnaie d’échange contre des cochons ou du bois. Je le remercie chaudement. Je retrouve ensuite Philip pour découvrir les hauteurs du village et les jardins de la communauté. Nous gambadons dans les hautes herbes avec 5 autres enfants. Ils slaloment entre les racines pieds nus avec une grande agilité ! Nous arrivons dans les hauteurs et admirons toute la baie de Dumaga. Que c’est beau. Philip me montre les plantations de tapioca, igname, ananas, banane, taro et tomates cerises. Il y a beaucoup d’autres plantes mais avec cette sécheresse, les plantes sont toutes rabougries. Nous continuons notre balade sur la crête, notre vue porte loin et nous admirons l’île Rossel, la passe par laquelle nous sommes rentrés et les hauteurs de l’île de Tagula. Un joli perroquet rouge, bleu et jaune semble jouer avec un cacatoès en contrebas. Nous redescendons vers le village de Kalatuma (celui de Raymond) et traversons des palmiers à bétel (noix d’arec pour être précis). Les enfants me font goûter une noix. C’est tout simplement infâme. Le goût est tellement astringent que je recrache tout de suite. Nous continuons notre marche à travers les palmiers sagou et arrivons au village. Avec les copains arrivés dans notre annexe, nous admirons leur énorme prao pouvant accueillir 30 personnes. La proue est finement ciselée avec de belles sculptures. Nous aimerions tellement le voir naviguer. Il ne sort que pour les grandes occasions ou les grands déplacements. Sa voile toujours en bâche doit être énorme ! Nous saluons le chef du village que nous n’avions encore jamais vu. Le rôle du chef de village ne semble pas si important dans leur organisation. Les décisions semblent plutôt prises par toute la communauté. Nous donnons notre surplus de tissu à spi (le spi ou spinnaker est une voile) qui sera surement très apprécié et Raymond nous donne en retour quelques patates, taro et bananes. Nous remercions une dernière fois Raymond, sa femme Marie et tous les gens du village pour leur accueil. Les copains retournent au bateau en annexe acclamés par la trentaine d’enfants du village. Je retourne à mon paddle toujours accompagné de Philip. Nous nous arrêtons pour donner du fil à coudre au couturier qui possède la seule machine à coudre manuelle du village. Nous saluons également les professeurs une dernière fois. John m’offre également un dernier régime de banane. Je le remercie chaleureusement. Les dernières salutations sont touchantes. Dans leur dialecte, un au revoir définitif se dit « Mba Inda ». Je rame doucement poussé par le vent. Le plancton fluorescent illumine chaque coup de pagaie. Mba Inda Dumaga Bay !
De retour au bateau, nous rangeons le pont pour lever l’ancre à 3h du matin afin de relier les îles Du château à 80 miles d’ici de jour.
4 Octobre – Direction les îles Du Château
Nous levons l’ancre de la baie encore endormie. Nous naviguons à l’intérieur du lagon pour éviter les vagues mais nous devons slalomer entre les patates de corail. Au petit déjeuner, Marilou innove en nous proposant des pancakes à l’avoine avec une touche de cannelle, un délice ! Nous avançons bien sur cette mer plate. Un espadon voilier vient jouer avec les leurres de Damien. Après 3 leurres perdus, les gars abandonnent la partie. Nous découvrons un petit trio d’îles et mouillons à 15h. Nous pensions avoir atterri sur une île déserte mais nous voyons une voile se diriger vers nous. Ce sont Ibrahim, Joshua et Robert qui campent sur l’île à la recherche d’œufs de tortue et de tortues venues pondre. Nous ouvrons de grands yeux attristés en entendant cette histoire mais il est vrai que dans cette partie du monde, manger de la tortue tient de la survie. Nous leur donnons un peu de matériel de pêche ainsi qu’une bâche pour leur voile. Ils semblent assez contents.
5 Octobre – Birthday day
Grand jour aujourd’hui, Damien a 29 ans ! Pour son anniversaire, une jolie miche de pain préparée par ses soins. Aujourd’hui nous allons plonger dans la passe entre les 2 îles. A peine nous mettons la tête dans l’eau, qu’un festival commence. Nous sommes dans 10 mètres de fond et des bancs de carangues, de perroquets, de lipu et de platax se baladent autour de nous. Cette densité de poisson est impressionnante. Guillaume admire un requin nourrice qui se repose mais vient se faire réveiller par un énorme mérou venant dans son trou. Pas de répit sous l’eau ! Nous sommes impressionnés par la diversité de coraux et leurs couleurs si intenses. Nous nous demandons si tous les fonds marins étaient comme cela avant l’exploitation humaine. Question sans réponse. En tout cas, la mer de corail nous aura gâtés. Ravis de cette plongée, nous retournons au bateau. Ce soir sera un repas de fête. Un pâté ouvert pour l’occasion, tajine de carangue accompagné de sa bouteille de vin d’Australie et gâteau à la banane pour terminer. Nous nous régalons et terminons la soirée avec une partie de Perudo et quelques cigarettes roulées dans du papier journal. Damien et Pierre ont adopté la technique locale pour fumer le tabac. Nous nous rappellerons longtemps de l’anniversaire de Damien, en pleine Papouasie !
Deuxième jour aux îles Du château
Réveil en douceur après une journée de fête ! Nous retournons dans la passe admirer la faune et la flore si jolies. Nous guettons de jolis thons qui passent à bonne distance de nous. Quelle vie sous-marine ! A notre retour le trio chasseur de tortue vient nous demander si nous avons des antidouleurs. Heureusement Marilou en a ! Guillaume leur demande s’il peut aller naviguer avec eux. Ils acceptent et c’est parti ! Robert hisse la voile, Ibrahim attache la livarde à la proue et Joshua borde la voile et attache sa pagaie pour s’en servir comme safran. En quelques secondes nous fusons à 5 nœuds sur la mer. Le prao est assez grand mais il prend l’eau. Robert est missionné à l’écopage en continu. Une odeur de feu de bois m’intrigue. C’est en fait un bout de bois qui se consume à l’extérieur du balancier qui leur sert de briquet pour allumer leur cigarette. Astucieux ! Au moment de virer, Ibrahim et Joshua inversent les rôles et l’avant devient l’arrière et vice-versa. L’équipage est rodé, la manœuvre va vite. Je réalise que toute la Polynésie et la Mélanésie (peut être toute l’Austronésie ?) ont été colonisées avec ce type d’embarcation. Elles étaient plus grandes certes, mais sur le même principe, hallucinant ! Après deux bords, les gars me ramènent et rentrent sur l’île de Brooker à 50 miles d’ici.
L’après-midi sera réservée au grattage de la coque. Elle commence à être colonisée par les algues et nous devons éviter qu’elles ne prolifèrent trop. Une heure à 4 et la coque retrouve un peu de sa splendeur. La vie se développe très vite sous les tropiques !
7 Octobre – Dernier jour au paradis (par Guillaume)
Pour notre dernier jour, Pierre et Damien retournent sur leur spot de surf, fétiche. Marilou et moi-même allons admirer les coraux autour du bateau et essayer d’observer des poissons clowns. Les coraux sont énormes, je me balade à travers des tunnels de calcaire. Nous trouvons de petits poissons clowns et restons subjugués de longues minutes en les regardant se cacher dans les bras de leur anémone. Nous essayons de nous imprégner de toute cette beauté sous-marine une dernière fois avant de retourner au bateau. De retour à bord, nous préparons le bateau avant de lever l’ancre à 16h pour nous diriger vers la sortie de la passe vent debout. Nous tirons un bord au près serré pour sortir et mettre le cap sur la capitale Port Moresby à 300 miles au Nord-Ouest. Le coucher de soleil est magnifique et nous disons au revoir à l’archipel des Louisiades.