Carnet de Bord – Direction l’Indonésie

Après presque 6 mois à le sillonner, c’est maintenant le moment pour nous de dire adieu à l’océan Pacifique. Nous quittons la Papouasie pour mettre les voiles vers un autre gros morceau de notre aventure : l’Indonésie. Nous avant longtemps rêvés de retourner dans ce pays que nous avons presque tous eu l’occasion de visiter par le passée, et qui, nous sommes certains, est un petit paradis pour des oiseaux du large comme nous.
Mais avant cela il nous faut passer le mythique Detroit de Tores et traverser la Mer d’Arrafura !

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C’est au matin du 20 octobre que nous mettons enfin les voiles vers l’Indonésie. L’escale à Port Moresby (en Papouasie Nouvelle Guinée) s’est éternisée et nous commencions à saturer de l’ambiance coloniale qui règne dans cette ville Papoue aux mains des australiens. Ce retard dans notre planning est principalement lié à la mésaventure de Tristan, qui a dû traverser un vrai parcours du combattant pour réussir à nous rejoindre après son séjour d’un mois en France : vols retardés puis annulés, itinéraires chamboulés, problèmes de visa dans des pays dans lesquels il n’était même pas censé faire escale… Bref quand il arrive finalement après plus de 6 jours de voyage, nous avons manqué la fenêtre météo et il faut en attendre une autre.

Préparation

La traversée que nous nous apprêtons à faire n’est pas une mince affaire. D’abord le détroit de Torres. Une des zones météorologiques les plus mystérieuse du globe. Ce point de rencontre entre les océans Pacifique et Indien est un réel micmac. Les courants de marée, de vent et de gradient de température entre les deux océans s’ajoutent les uns aux autres ce qui rend la prévision globale extrêmement complexe. Cela fait des dizaines d’années que les scientifiques se cassent la tête sur le sujet. Et c’est un sujet d’importance car ceux-là peuvent attendre les 6 à 7 nœuds au plus étroit du détroit. Vous comprendrez donc notre préoccupation à bien choisir notre moment pour le passer. La deuxième partie du voyage n‘est pas simple non plus. Nous devons traverser les mers d’Arrarufa, puis du Timor. Des zones connues comme étant de véritables « marais barométriques ». A savoir des surfaces gigantesques où la pression atmosphérique est la même partout, et donc où le vent ne peux pas se créer. Des trous sans vent dans le jargon maritime. Là aussi il nous faut bien prévoir si nous ne voulons éviter de faire 500 milles de moteur.

Notre stratégie pour le Torres

Pour ceux que ça pourrait intéresser, voici un petit résumé de notre stratégie pour aborder le Torres. Nous avons trouvé, en nous documentant, qu’il n’y avait que très peu de récits de voyage sur le sujet, et qu’il était assez difficile de se faire son idée au milieu de toutes ces publications scientifiques et ces estimations de courants divergentes.

La meilleure source que nous ayons trouvée est le site internet de l’Australian Maritime Safety Authority, qui donne dans son rapport PDF Queensland Coastal Passage Plan les cartes marines détaillées et annotées de tout le chenal. On trouve aussi sur ce site internet les prévisions de courant de marée à différents points stratégique du parcours.

1/ Notre première préoccupation était de traversée le détroit pendant une période à faible coefficient de marée. En effet à la pleine lune les courants peuvent être vraiment forts, ce qui peut compliquer l’approche. Il y a forcément une section où on se retrouve avec courant dans le nez.

2/ Nous avions ensuite comme objectif de passer la zone A avec un courant favorable et si possible de jour, et la zone B de jour, à cause des différents recifs qui la minent.

3/ Enfin il fallait tout de même des conditions de vent favorables. A savoir un vent secteur SE bien établi mais pas trop fort pour réussir à la fois à traverser rapidement la mer de Corail et aussi à descendre facilement au près dans la zone C.

Nous avons donc déterminé notre départ de Port Moresby pour nous présenter en fin de journée à l’entrée du chenal. La zone C a été couverte pendant la nuit. La zone B dans la matinée et la zone A dans l’après midi.

C'est parti !

Le 20 au matin nous sommes fin prêts. Le bateau est avitaillé pour affronter les 2 semaines de mer qui nous attendent. La fenêtre météo à l’air correcte et nous avons fait notre sortie administrative du pays. Nous avons même le luxe d’avoir un ami parti en éclaireur sur la même route, un jour avant, qui pourra nous informer en temps réel des conditions rencontrées via notre téléphone satellite. 

La première partie pour rejoindre l’entrée du détroit est une formalité. 250 milles au travers par un bon 20 nœuds de vent. Le Scuba file à 6,5 nœuds sur une mer plate et en 36h à peine nous voilà déjà arrivé à la Bligh Entrance, point d’entrée du chenal balisé de Torres. Sur la route Pierre réalise un nouveau record de pêche. Il est du dernier quart (celui du lever de soleil) et avant même que nous nous soyons réveillés, il a déjà remonté 2 barracudas (que nous relâchons) et 3 petits thons. Fin de la journée de pèche à 7h du matin. Cette partie du globe est décidément extrêmement riche en vie aquatique.

Nous commençons notre traversée du détroit de Torres le soir du 21 Octobre dans des conditions idéales. Le vent s’est un peu calmé, ce qui va faciliter notre descente au près vers le sud, et l’endroit le plus étroit du détroit. Au matin nous avons bien avancé et somme maintenant bien engagé dans le méandre d’iles et de récifs dont se compose la zone. C’est autant de reliefs dont il faut se méfier à cause des remontés de fond et des contre-courants qu’ils entrainent. En témoignent les quelques épaves que nous devinons au loin. Mais le paysage est vraiment magnifique et nous passons tous les quatre un super moment intensifié par une belle météo, une eau turquoise et un contre-courant assez facile à négocier. Par contre il est plutôt étrange pour nous de slalomer au milieu des bases militaires Australiennes qui quadrillent la zone. Ce sont eux les maitres des lieux ici et ils le font savoir ! Dans l’après-midi nous effectuons notre virage plein Ouest. Nous sommes maintenant bien dans l’entonnoir. Notre timing est nickel. Nous sommes prêts à nous faire « flusher » (terme anglais dérivé de flush : la chasse d’eau). Comme prévu le courant attrape le Scuba et c’est parti pour le grand toboggan. Nous filons entre 8 et 9 nœuds (malgré un vent plutôt faible) vers l’océan indien. Sur notre babord, à quelques centaines de mètre seulement c’est la côte sauvage de l’Australie qui défile à vive allure. On s’imagine alors les crocodiles et les serpents qui doivent se balader dans les mangroves qu’on aperçoit au loin. Et on se remémore les descriptions de David Fauquenberg dans son Nullarbor, que nous avons tous lu pour l’occasion. Quel sentiment étrange de passé si près d’un pays, qui plus est l’Australie, sans même s’y arrêter ! Sur les coups de 20h, nous doublons la bouée de Varzin Passage marquant la fin du chenal. Après 7 mois à le traverser, le Pacique est maintenant derrière nous, bienvenu dans l’ocean Indien !

Jamais nous n'oublirons le bleu du detroit de Torres


Passage
du Torres

L'une des nombreuses épaves qui témoignent de la dangerosité du coin

Apres une nuit sous haute vigilance, pendant laquelle nous devons terminer de nous extraire des derniers récifs présents dans les alentours du détroit, nous sommes bel et bien au large. Nous pouvons reprendre notre rythme de croisière habituel. Tout se passe pour le mieux à bord. Les journées s’enchainent, et malgré les moyennes journalières assez faibles par rapport à d’habitude (entre 100 et 120NM) le morale est au beau fixe ! Il faut dire que nous avons rarement vécu des conditions de navigations aussi confortables. La mer ici est d’un calme comme nous n’en avons jamais vu au large. Pas une vague, pas même un léger clapot. Cela nous permet d’envoyer quotidiennement notre spi qui, malgré la faiblesse du vent, tient bon et nous maintient à une vitesse de 5 nœuds. Le bateau est alors d’une stabilité incroyable. On oublie même parfois qu’on est en mer ! La journée nous flânons en profitant du beau temps. Les manœuvres sont rares dans ces conditions, même si nous réalisons nos premiers empannages sous spi. Pas toujours très conventionnels certes mais ils finissent toujours bien. La pêche est aussi plutôt bonne en ce début de traversée. Des petits thons et autres bonites à ventre  rayés sont fréquemment remontés et finissent aussitôt en tartare, ceviché, tataki ou bien sushi. On se régale à bord ! Le soir c’est le traditionnel apéro devant le couché de soleil. Ceux-là sont d’ailleurs particulièrement flamboyants en cette partie du globe. Puis on passe en ciseaux pour la nuit et c’est parti pour les quarts.

Les nuits sont généralement un peu plus chargées. Le ciseau tolère moins le petit temps et demande un peu plus d’attention pour éviter que la grand-voile ne claque. Et puis il faut rester vigilant et slalomer entre les bateaux de pêche qui circulent sur cette zone. Ici on pêche le pélagique avec des longliners. Ces bateaux posent des lignes gigantesques équipées de milliers d’hamecons, qu’ils laissent dériver à la surface pendant plusieurs heures. Tous les 500m elles sont équipée d’une balise AIS qui permet de les repérés sur notre ordinateur de bord. La nuit l’écran est donc rempli de petits points qui se suivent à la queue-le-le et qu’il faut à tout prix éviter. Plusieurs fois nous sommes obligés d’empanner pour passer à bonne distance de ces pièges ambulants. Mais hormis ces quelques manœuvres, le gros de la nuit se passe calmement ce qui nous laisse le temps de vaquer à nos occupations ou de contempler la voute celeste qui nous offre un magnifique spectacle quotidien.

C’est après 13 jours de cette routine forte agréable que les cotes de l’Indonésie commencent à se dessiner sur l’horizon. Celles-ci sont hautes, vastes, massives. C’est autre chose que les côtes des iles du pacifique dont nous nous étions habituées les 6 derniers mois. L’excitation commence à se faire sentir à bord. C’est toujours une émotion de découvrir la terre apres deux semaines en mer. Qui plus est quand on se dit qu’on arrive en Asie. Encore une nouvelle étape dans notre voyage. 

Malheureusement un évènement va vite nous faire revenir à la réalité : si nous continuons à cette allure nous allons arriver de nuit… une fois de plus. Or notre ami d’ARN nous a mis en garde sur l’approche de Kupang, qui se fait par un petit chenal rempli de ferme à poisson et où sévit un fort courant, en nous déconseillant fortement de nous y aventurer la nuit tombée. Faute d’alternative, nous tentons tout de même le coup, en ralentissant le bateau au maximum afin de nous présenter à l’entrée du chenal le plus tard possible. Nous y arrivons à 4:20PM. Le courant n’a pas l’air si fort. Seul le problème des pêcheries subsiste. Damien et Pierre se relaient à la vigie jusqu’au lever du soleil. C’est d’ailleurs l’un des plus beaux que nous ayons vecu depuis le debut du voyage. Une mer d’huile, des couleurs incroyables, et l’odeur de la terre (que nous avions presque oublié) mêlée aux effluves si typiques de l’Indonésie. Il règne une ambiance particulière dont nos deux compères se délectent. A 8:00 l’ancre est posée devant la ville de Kupang. C’est le debut d’une escale qui durera 3 mois. Indonésie, nous voilà !

- FAITS MARQUANT DE LA NAV' -

Courant

Cette traversée aura été marquée par la succession de veines de courant favorables que nous avons rencontré. Nous sautions littéralement d’une veine à l’autre. Certaine fluant parfois à plus de 2 nœuds. Ce qui nous a bien aidé à avaler les milles malgré le vent léger.

Cétacés

Nous avons aussi eu la chance de croiser le chemin de beaucoup de cétacés. Plusieurs banc de dauphins nous ont accompagnés des heures durant, à jouer avec l’étrave ou à sauter autour du bateau. Le septième jour de navigation nous observons des baleines à plusieurs reprises. D’abord nous voyons des souffles à quelques dizaines de mètres sur notre hanche. Puis, un peu plus tard dans la journée, ce qu’on pense être un gros rorqual sonde juste devant l’étrave !

Un an en mer !

Autre fait marquant : au matin du 8ème jour, à savoir le 27 octobre 2023, nous fêtions nos un an de voyage. Un an déjà que nous avons quitté Oléron. Et que de chemin parcourus ! Plus de 15000 miles pour être exact ! Soit plus de 2000km par mois. Ça fait une bonne moyenne. Nous avions mis les petits plats dans les grands pour célébrer ce premier anniversaire. Au programme : un bon petit déjeuner, puis une grosse saucissonnade à midi, qui s’acheva bien sûr avec un joli gâteau d’anniversaire ! Un super moment qu’il fait bon partager entre amis !

La visite de Jerems

Enfin, on ne peut pas raconter cette traverser sans évoquer l’adhésion d’un nouveau membre d’équipage en la personne de Jerem’s, un pigeon voyageur vraisemblablement perdu qui a élu domicile sur le Scuba Libre pendant plus de 5 jours visitant tous les recoins du bateau. Malgré tous nos efforts pour le faire reprendre sa route, Jerem’s est resté à bord jusqu’à notre arrivée à Kupang. Et nous avons dû le confier à un ami rencontré à terre pour reussir à s’en défaire.

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